mercredi 2 juillet 2014

Le bel apprentissage

« Sa main rencontra la sienne quand ils se penchèrent en même temps pour enlever le couvre-lit. Et tout cet après-midi-là, il assista une autre fois, une fois de plus, une parmi tant d’autres fois, témoin ironique et ému de son propre corps, aux enchantements et aux déceptions de la cérémonie. Habitué sans le savoir aux rythmes de la Sibylle, soudain une nouvelle mer, une nouvelle houle l’arrachait aux automatismes, semblait dénoncer obscurément sa solitude prise dans des simulacres. Ravissement et déception de passer d’une bouche à une autre, de chercher, les yeux fermés, le creux d’un cou où la main a dormi et de sentir que la courbe est différente, la base plus épaisse, un tendon qui se crispe dans l’effort pour se lever, pour embrasser ou mordre. Chaque moment de son corps face à une inhabitude délicieuse, devoir s’allonger un peu plus, ou baisser la tête pour trouver la bouche qui, avant, était là si près, caresser une hanche plus modelée, provoquer une réplique et ne pas l’obtenir, insister distraitement puis se rendre compte qu’il faut tout inventer de nouveau, que le code n’a pas encore été institué, que les clefs et les chiffres vont naître à nouveau, seront différents, répondront à autre chose. »

— Julio Cortazar, Marelle, Gallimard, 1963