jeudi 9 janvier 2014

On fait le bilan ! (2/2)

Début d’année oblige, on clôt 2013 en dressant le bilan des belles lectures de l’année écoulée à travers dix oeuvres qu’on retiendra et qu’on aimerait faire découvrir, présentées (presque) sans classement.

Les 10 lectures de l’année
(Partie 2/2)

Le classique inclassable

Court poème en prose écrit la gloire d’une de ses élèves triestines, Giacomo Joyce, de James Joyce ne sera publié pour la première fois qu’en 1968, longtemps après la mort de son auteur. Il était déjà paru une fois en français, chez Gallimard, en 1973, et était depuis indisponible jusqu’à ce que les jeunes éditions Multiple ne décident de l’exhumer pour notre plus grand plaisir et de nous le présenter dans une nouvelle traduction. Joyeux génie mélancolique, dublinois triestin, Joyce y évoque la passion interdite bien commune du maître pour son étudiante. Mais Joyce ne serait pas Joyce s’il ne faisait que cela. Alors, parce qu’il est Joyce, il rit de lui-même et du comique de sa situation. Surtout, il livre une oeuvre dont le verbe est le sujet ; un verbe merveilleux. Tantôt touchant et tantôt érotique, toujours drôle, Giacomo Joyce est une entrée idéale dans l’univers de Joyce pour ceux qu’Ulysse effraye. 

Giacomo Joyce, James Joyce, Multiple, 41 pp.






L’essai indispensable

Dans son Essai sur le libre arbitre, Arthur Schopenhauer témoigne de l’incapacité honteuse de la conscience à prendre le pas sur l’action. La liberté, expose-t-il, ne réside pas dans l’action, mais dans l’être. Dénonçant le faux témoignage de la conscience, par lequel l’homme affirme qu’il ne fait que ce qu’il veut, Schopenhauer démontre que l’homme n’a aucun pouvoir sur la détermination de ce qu’il veut vouloir : tout juste sa conscience est-elle une balance sur les plateaux de laquelle on pose deux motifs sans pouvoir décider duquel, par son poids, emportera la volonté qui elle-même conduira à l’action. Reste le remord, quand l’action dictée par notre volonté ne correspond pas à l’idée qu’on se fait de soi : preuve que la conscience n’intervient qu’a posteriori, une fois l’acte accompli et notre nature révélée ; sinon, que ne l’aurions-nous pas suivie ? Premier succès de l’auteur, cette œuvre limpide nie avec brio la fiction du libre arbitre et énonce la tragédie de l’homme qui ne peut faire que ce qu’il est.

Essai sur le libre arbitre, Arthur Schopenhauer, Payot & Rivages, 171 pp.






Le livre qu’on relira en 2014

L’intrigue véritable de Oui, extraordinaire roman de Thomas Bernhard, n’est révélée que dans le dernier tiers du livre, quand le narrateur s’intéresse de plus près aux plans machiavéliques d’un Suisse venu acheter pour sa femme une propriété dans la campagne autrichienne. S’il nous réserve ainsi un final prodigieux, c’est tout le livre de l’auteur autrichien qui est une machine infernale ! Une mise en abime de cent pages nous plonge tout droit dans la dépression de son auteur, retiré du monde pour se consacrer à son activité intellectuelle et s’enfermant ainsi dans sa propre souricière. La première phrase du livre mesure deux pages et demi ; toutes les autres comporteront plusieurs répétitions, des reprises et des ellipses à n’en plus finir, mais le tout demeure d’une clarté remarquable. Toute la construction du roman est implacable ; le lecteur, à l’instar de tous les personnages, se sent comme une sourie bien heureuse de se retrouver prise entre les pattes d’un chat.

Oui, Thomas Bernhard, Gallimard, 176 pp.






Le livre de la rentrée qu’on aurait aimé voir récompensé

Depuis longtemps, Céline Minard intriguait. Autour de nous, on en disait beaucoup de bien et on se disait qu’il faudrait bien la découvrir tout en redoutant qu’elle ne nous corresponde pas tout à fait. C’est chose faite avec Faillir être flingué. Le livre a fait parler de lui cet automne et c’est tant mieux ! Dans un far-west revisité, Minard use et abuse des clichés pour livrer une œuvre tout ce qu’il y a de plus originale qui conte un mythe de l’origine du monde. Personnages truculents, style impeccable, paysages de grandes plaines et situations décalées : tout était réuni pour que ça marche et c’est le cas. On regrette juste que les « grands prix » de la rentrée ne s’y soient pas intéressés de plus près. Elle remporte tout de même le Virilo ; c’est toujours mieux que le Femina !

Faillir être flingué, Céline Minard, Payot & Rivages, 336 pp.






Les deux qui font un

Un peu d’évasion bédéphile avec le diptyque Kililana Song, de Benjamin Flao, qui clôt donc en beauté ce bilan 2013. La beauté, on la trouve tout d’abord dans les somptueux dessins à l’aquarelle par lesquels l’auteur peint une Afrique résolument vivante et chaude. Au Kenya, dans l’archipel de Lamu, l’histoire met en scène Naïm, petit gosse des rues qui préfère de beaucoup l’école buissonnière à l’école coranique. Fuyant son grand frère Hassan, il court partout dans la rues de sa ville et croise une galerie de personnages plus ou moins bienveillants, et fricote avec la légende. Le second tome donne parfois un peu l’impression de dresser la liste des maux qui accablent l’Afrique (terrorisme, trafics, corruption, spoliation par les investisseurs étrangers, SIDA…), mais l’ensemble reste une bien belle BD, dépaysante et attachante.


Kililana Song t. 1 & 2, Benjamin Flao, Futuropolis, 127 & 134 pp.

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