mardi 13 mai 2014

Rue Involontaire

Rue Involontaire
de Sigismund Krzyzanowski

De l’importance des bonnes lectures

De Verdier, je connaissais principalement le travail d’éditeur de littérature française. Un travail admirable qui, allié à de bonnes recommandations, car il faut être bien aiguillé, m’a permis de faire de jolies découvertes chez les Michon, Bergounioux, Serre (dont on reparlera bientôt), Eggericx (dont on parle ici) et plus encore Bassmann (dont on parle ), mon représentant préféré du fabuleux post-exotisme. Mais jusqu’ici, j’avais très largement ignoré la part pourtant conséquente que leur catalogue consacrait à la littérature étrangère. Ainsi, par nescience, je passai à côté de la collection Slovo. Ma faute étant avouée, je peux à présent me vanter en initié de l’avoir découverte grâce à Sigismund Krzyzanowski, et une autre bonne recommandation, provenant cette fois du blog de L’Hermite critique.

Lettres pour l’inconnu

Sigismund Krzyzanowski, voilà un nom dont on se souvient ! Dans Rue Involontaire, son dernier ouvrage publié chez Verdier, le premier que mes doigts explorent, y précédant mes yeux, il nous apporte un paquet de lettres, qu’on imagine arrivant, tenu par deux bouts de ficelle effilée que l’on aura pris soin de nouer à son sommet, d’abord aux archives littéraires russes en 1995, puis au fonds Krzyzanowki en 2012, et finalement chez Verdier deux ans plus tard, comme exhumé du fond d’un tiroir secret de secrétaire au cours d’un héritage. Alors que l’on entreprend fébrile de fouiller la correspondance du grand oncle, craignant et souhaitant tout à la fois y découvrir les traces d’une double vie, l’existence d’une maîtresse, ou pourquoi pas la preuve d’une activité d’espionnage, car nous sommes en URSS, on est confronté à un tas de sept lettres, relativement courtes, et chacune adressée à des gens dont on ne saura rien pour la simple raison que l’auteur du courrier lui-même ne les connaît pas. Pas même leurs noms, qu’il aura au mieux oubliés.

Nous voilà donc, amateurs de potins déçus, face à ces feuillets pour « six longs coups de sonnettes », « n’importe qui », ou encore le futur habitant d’un immeuble en construction. On n’y trouvera pas de scandale, pas de grande révélation, si ce n’est celle de la vie d’un homme qui se raconte, lui-même, son époque, l’URSS, la vodka, avec intelligence et sensibilité parce que, dit-il, « [au] fond, c’est tout ce qu’il me faut. Être entendu. » Tel est son isolement ! Accueillons donc ces brefs récits où il partage avec celui qui l’entendra — pourquoi ne serait-ce pas vous ? — son plaisir à marcher la nuit, lorsque le temps « inscrit ses pensées dans les ténèbres », où il évoque la révolution, son pauvre quotidien, quand au détour d’un coude de la Rue Involontaire, zigzagant entre les immeubles, surgit un peu de métaphysique, ou bien un bel aphorisme : « Vous autres, écrivains, vous vous servez de votre encrier comme une pieuvre de sa poche d’encre : pour vous défendre. »

Fleuves infinis

Sur son blog, L’Hermite critique évoque Kafka, Borges et Cortazar, quant à moi, sans le démentir, je ferais plutôt baigner Krzyzanowski dans les eaux de la Moscova où peut-être ont aussi barboté Boulgakov et surtout Erofeïev, qui partage avec Krzyzanowski un même amour pour la vodka et une même circonspection quant aux bienfaits de l’URSS, quoiqu’en n’étant jamais vindicatif, en ne s’offrant jamais corps et âme aux tapageuses sirènes de l’Ouest, en restant profondément russe.

J’évoquerais aussi Gogol, mais plus pour la nouvelle Le Feutre gris que l’on retrouve en fin d’ouvrage et dans laquelle l’àquoibonnisme dévaste la Russie.

Dans la troisième des sept lettres qu’il nous fait parvenir, Krzyzanowski regrette que « frapper au cœur — et qu’il s’entrouvre — ne [fasse] pas partie des obligations des porteurs de lettres. » J’ignore quel est le coursier qui a porté cette correspondance jusqu’à la porte de chez Verdier (ou j’ai dû aller la chercher), mais il a fait du zèle !

Rue Involontaire, c’est 59 pages, c’est une heure de lecture… à multiplier à l’infini !



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