lundi 28 octobre 2013

Faber - Le destructeur

Faber - Le destructeur
de Tristan Garcia

Le roman en trompe-l’oeil

Ca a commencé comme ça. En exergue, Louis-Ferdinand Céline et juste après, un paragraphe cité dans tous les articles de gazettes sur la rentrée littéraires qui le mentionnaient - le premier, le seul, sûrement, que les critiques auront lu :

« Nous n’étions ni pauvres ni riches, nous ne regrettions pas l’aristocratie, nous ne rêvions d’aucune utopie et la démocratie nous était devenue égale. [...] Nous avions été éduqués et formés par les livres, les films, les chansons - par la promesse de devenir des individus. Je crois que nous étions en droit d’attendre une vie différente. »

Faber - Le destructeur, le dernier livre de Tristan Garcia, roman de la désillusion, grand roman de la « Génération Y » ? Non. Derrière une belle idée de départ - la confrontation de la première génération élevée dans le mythe absolu de la liberté individuelle avec la décevante réalité du quotidien - ne se cache qu’un roman énervant, pas inspiré, peu crédible et surtout très mal écrit.

Rendons grâce à Garcia, tout suspens quant à la qualité réelle du livre est très rapidement évacué : première page du roman proprement dit et on pressent déjà que ça ira mal. Madeleine, l’un des quatre narrateurs qui prêtent leurs voix à ce roman et qui, comme toutes les femmes, n’a pas le sens de l’orientation, y fait la rencontre d’un jeune pompiste « musclé, tatoué et plein de charme » - oui, nous avons bien droit à non pas un, mais deux clichés ridicules en dix lignes. De cette vision tout droit sortie d’un film X des années 80 (avant, donc, l’avènement de la génération Y dont le livre fait son sujet : c’est presque un anachronisme), on attendrait presque qu’elle demande à ladite Madeleine si elle a un problème de carburateur ou si elle veut qu’elle lui remplisse son réservoir. Passons. On est quand même déçu quand elle se contente de lui indiquer son chemin - ce qui nous permettra toutefois d’apprendre que Madeleine conduit une Toyota Aygo qui ressemble à hanneton, qu’elle ne sait pas faire fonctionner son GPS et qu’elle utilise encore une vieille carte routière, ce qui, lorsqu’on n’a pas le sens de l’orientation, est ambitieux. Bref, Madeleine, comme le lecteur, est mal barrée.

Faber la pute !

Pourtant, les informations délivrées par le pompiste musclé, tatoué et plein de charme mèneront avec succès Madeleine jusqu’à son but : Faber, le destructeur du titre qui ne semble être parvenu à ne détruire que lui-même, devenu une sorte de SDF et vivant dans une cabane gardée par deux mamies revêches.

Faber est l’ancien camarade de classe de Madeleine et Basile (un autre narrateur), et si Maddie est venue le chercher au fin fond de sa cabane au fin fond du jardin du fin fond de sa campagne c’est parce qu’elle a reçu une lettre qui, dans le code élaboré lorsqu’ils étaient enfants, s’assimilait à un appel au secours lancé par Faber qui s’estimait en danger. Faber, lui, nie avoir envoyé cette lettre mais suit quand même Madeleine qui le rapatrie à Mornay, charmante bourgade de la grande couronne parisienne avec son collège, son lycée, son maire immortel et ses tours. Le pitch autour de cette mystérieuse lettre prête un peu d’intérêt au livre, mais, comme le reste, se révélera bien vite comme une farce manquée : tout se plante dans ce bouquin, et on a rarement vu autant de bonnes idées retomber comme des soufflets faute d’être bien traitées.

Car le livre ne nous contera finalement que l’histoire de Faber telle qu’évoquée tantôt par Madeleine le garçon manqué, tantôt par Basile qui se fait pipi dessus, deux parias copieusement moqués à la maternelle et tout heureux de voir un jour débarquer dans leur école ce grand garçon issu de la DDASS, pick-pocket talentueux, plus balèze de la classe, élève surdoué et même leader précoce de mouvement étudiant. Dès lors, chaque chapitre du roman pourrait faire l’objet d’un petit livre pour enfant : Faber est adopté - Faber va à l’école - Faber rencontre ses amis - Faber joue des mauvais tours aux caïds - Faber écoute du rap - Faber vole les sujets du prof d’histoire-géo - Faber manifeste contre la réforme Juppé - Faber va à une boum... mais aussi, pour les plus grands, Faber casse la gueule du mari de Maddie - Faber dort sous un pont - Faber torture un gosse, et enfin last but not least - Faber est le diable incarné et éjacule de la lave en fusion. Oui : Faber est le diable incarné et éjacule de la lave en fusion. 

Salsa du démon

Car en plus d’être un personnage insignifiant, Faber est un personnage complètement raté. Pas charismatique pour un sou, le grand Faber dont l’influence poursuit ses camarades plus de vingt ans après leur rencontre, ne se distingue que par sa grande gueule et quelques tours de passe-passe. Sentant que ce n’était pas assez pour servir son propos, Garcia tente donc d’en faire un diable.

Pourquoi pas ? Après tout, le satanisme colle bien avec le thème d’une jeunesse sans repères ni foi, individualiste à l’extrême et prête à tout pour exister. Seulement, on n’y croit jamais : Satan qui vole des sujets de contrôle dans le cartable du prof, bof. Pire : ces scènes dramatiques censées nous révéler la vraie nature de Faber sont si manquées qu’elles en deviennent cocasses. Imaginez plutôt Faber qui, après une soirée à boire et fumer des joints sur le toit du collège, se met à déclarer dans trois octaves qu’il est le diable fait homme ou encore que, perdant sa virginité à un âge encore tendre, il incendie littéralement le vagin de sa partenaire. Voilà donc l’incarnation de cette jeunesse nihiliste et menaçante. Là où un Dostoïevski campait avec brio sa jeunesse diabolique par un tirage de nez, Garcia peine à créer un diablotin avec tous les renforts pyrotechniques dont il dispose. C’est comme si on laissait un réalisateur américain faire à grands coups d’effets spéciaux le remake d’un film d’auteur empreint de symbolisme. Trop pathétique pour être effrayant, trop anecdotique pour être réac’, le livre est juste raté.

Et tous ces manqués ont forcément un impact sur le propos du livre. On peine réellement à comprendre comment Faber a pu avoir une influence si marquante sur ses camarades avec ses quelques farces. D’ailleurs, on ne comprend pas vraiment de quoi il serait le symbole. Garcia semble se poser la même question puisqu’il fait machine arrière après un ultime twist : Faber n’est plus qu’un pauvre type qu’on aurait pris pour un diable. C’est certes plus plausible, mais alors, quid de son sperme corrosif ?

Tristan - L’imposteur

Signe que le livre échoue de bout en bout, Garcia nous en expose les ficelles dans une glose finale, comme s’il voulait nous dire dans les vingt dernières pages ce qu’il n’était pas parvenu à démontrer dans les quatre cents qui les précèdent. Son propos n’est d’ailleurs pas idiot et on peut même y adhérer : Faber serait le fruit d’une civilisation sur le déclin, un faux prophète de l’apocalypse, un type banal qui faute de s’épanouir, appellerait le chaos de ses voeux. Pourquoi pas ? Mais pourquoi ces quatre cents pages invraisemblables ?

Le pire dans cette glose en forme de constat d’échec, c’est que c’est le petit Tristan lui-même qui la tient. Ancien élève de Basile - devenu prof après qu’il avait arrêté de se pisser dessus -, Tristan était un suiveur, un wanna-be Faber, un petit premier de la classe vaguement rebelle, devenu écrivain et dont on a peut-être déjà lu les précédents livres. Incursion de l’auteur encore une fois ratée, personnage antipathique tout au long du livre, il nous porte le coup final en disant dans son aparté qu’il a écrit le livre d’après les notes laissées par Basile, qu’il (Tristan) a « améliorées, parce qu’il [Basile] n’écrivait pas très bien ». Lire ça quand on a constaté pendant 450 pages à quel point le roman était mal écrit, ça achève de nous énerver !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire