jeudi 9 août 2012

Batman - The Dark Knight Rises


TDK ou TDKR
Tout est une question de Joker !


Pour faire un bon film, il faut un bon méchant»

cool-batman-logo.jpgDepuis dix jours, les Parisiens n’abandonnent les terrasses des cafés, les pelouses des parcs ou le sable de la plage que pour trouver un peu d’air frais auprès des climatiseurs des salles obscures. C’est que le dernier volume de la trilogie de Batman vu par Christopher Nolan, The Dark Knight Rises (ou TDKR) éclipse le soleil comme l’ombre de la chauve-souris couvre la lune dans le ciel de Gotham.

Lorsque le volet précédent, The Dark Knight (ou TDK) était sorti en 2008, tout le monde s’accordait à dire qu’il était bien meilleur que son prédécesseur, Batman Begins qui, même s’il ouvrait la trilogie de très belle manière, se retrouvait irrémédiablement plombé par son armée de ninjas tibétains et des scènes de combats qui, pour spectaculaires qu’elles fussent, vous refilaient quand même un sérieux mal de coeur. 

Dix jours après la sortie de TDKR, les retours sont plutôt positifs. Même si le scénario est beaucoup plus lié au premier épisode qu’au second (évitons de spolier, mais il vaut mieux avoir vu le premier épisode pour tout comprendre), les retours sont généralement positifs. Et pourtant, si tout le monde s’accorde à dire que TDKR est ce qui se fait de mieux en matière de film d’action et de gros blockbuster estival estampillé Hollywood, il est unanimement considéré comme inférieur à TDK. Pourquoi ? On pourrait citer une foule de petites incohérences qui, même dans un film de superhéros, finissent par traduire quelques carences scénaristiques. Bien sûr, on pourrait aussi faire preuve d’un peu d’autoflagellation en pointant du doigt la piètre performance la plus américaine des actrices françaises : Marion Cotillard, qu’on préfère décidément sans jambes ! Tout ceci ne serait pas faux, mais ce ne serait pas non plus tout à fait vrai. La vraie raison pour laquelle tout le monde s’accorde à dire que TDK était meilleur que TDKR, c’est que dans TDK, il y avait le Joker !

Qu’on ne s’y trompe pas, Bane est un méchant assez charismatique et il contribue largement à la réussite du dernier film. Il n’en reste pas moins qu’il pâtit grandement de l’inévitable comparaison avec son aîné supervillain. Bien sûr, on ne peut évoquer le Joker sans penser à l’extraordinaire interprétation de Heath Ledger (Jack Nickolson appréciera...), mais au-delà de cette prestation, qu’est-ce qui fait qu’on a tant aimé ce Joker qui fut le véritable héros du deuxième film ? Quelques éléments de réponse...


Le docteur Mabuse, le joueur

arts_joker_584.jpgEn 1922, Fritz Lang invente le premier super méchant de l’histoire du cinéma. Il s’agit du Docteur Mabuse, un personnage tiré du roman éponyme de l’écrivain luxembourgeois Norbert Jacques. Mabuse est une sorte de génie du mal qui préfigure largement les méchants mégalomanes que l’on retrouvera dans les premiers James Bond. Contrairement à eux, cependant, le Docteur Mabuse ne tient pas à conquérir le monde, ni même vraiment à s’enrichir : le Docteur Mabuse est avant tout un joueur. Doté d’un véritable génie criminel, il joue avec les hommes, se plaît à les manipuler sans finalement obéir à aucune autre logique que la sienne.

Il y a un peu de Mabuse dans le Joker de Christopher Nolan. 

Ainsi, dès la première scène du braquage de banque, on le génie criminel du Joker apparaît de façon éclatante. Cependant, comme Mabuse, le Joker n’a absolument aucune soif de richesse : ne le voit-on brûler son immense pile de billets ? 

L’activité criminelle, privée de son enjeu le plus commun, apparaît donc comme une simple distraction, un hobby. D’ailleurs, ne le Joker ne déploiera-t-il pas toute son énergie criminelle à la seule fin que Batman tombe son masque ? Contrairement aux deux autres films dans lesquels Batman sauve littéralement Gotham de la destruction, TDK est donc avant tout un face à face entre les deux protagonistes. C’est d’ailleurs quand on sort de ce face à face que le film faiblit (Harvey Dent, surtout quand il devient Double-Face, semble bien creux).

La meilleure illustration de ce personnage entièrement destiné au jeu qu’est le Joker est sans doute la fameuse scène des bateaux, à la fin du film. Malheureusement, cette scène est entachée d’une morale un peu balourde qui veut que les prisonniers soient les premier à jeter le détonateur à la mer quand seule une certaine lâcheté empêchait les braves gens d’actionner le leur. Mais au-delà de cette lourdeur du scénario, très clairement, ici, le Joker s’amuse à manipuler les vivants comme des pions sur le grand plateau de jeu qu’il a fait de Gotham. Certes, il y a une volonté de démontrer que les gentils ne sont pas si gentils, de provoquer le chaos, mais ceci se fait par la voie du jeu. Et, beau joueur, le Joker accepte sa défaite en ne faisant finalement sauter aucun des deux bateaux.


Par-delà le Bien et le Mal

Revenons sur cette idée du Joker en tant qu’agent du chaos — c’est lui qui le dit.

drag.jpgEn 1886, Friedrich Nietzsche publie son traité dans lequel il nie l’existence d’une morale universelle commune à l’humanité. On sent dans cet ouvrage l’influence de Dostoïevski, qui écrivait six ans plus tôt dans Les Frères Karamazov que « si Dieu n’existe pas, alors tout est permis » et s’inquiétait de l’influence des mouvements nihilistes qui assombrissaient l’avenir de la Très Sainte Russie. Si les supervillains de cette trilogie devait être des frères Karamazov, Bane serait sans doute Dimitri et le Joker Ivan. Et comme dans le roman de l’écrivain russe, le second apparaîtrait finalement bien plus inquiétant que le premier.

On l’a dit, la motivation criminelle du Joker n’a rien de rationnel. Dans le premier et le troisième volets de la trilogie, la League of Shadow, représentée alternativement par Ra’s al Ghul ou Bane, exécutait une mission. On nous dit même que cette missions est éminemment conservatrice puisqu’elle a pour but de maintenir un certain équilibre et de lutter contre la corruption des civilisations depuis la naissance de l’humanité. Si les moyens sont quelque peu extrêmes, la cause finalement pourrait presque apparaître noble. Surtout, la cause existe bel et bien.

Le Joker, lui, ne sert aucune cause. En tout cas cas, il n’en a pas d’autre que de s’affranchir de toute morale et de répandre le chaos autour de lui. C’est un personnage profondément nihiliste, et c’est cette absence non seulement de plan, mais aussi de tout référentiel qui le rend totalement imprévisible (« Do I look like a guy with a plan ? ») et, finalement, libre. Le chaos, l’anarchie, le hasard apparaissent comme l’expression la plus absolue de la liberté. 

Ceci contribue à renforcer l’ambiguïté des personnages du film de deux façons. Tout d’abord, là où Bane et Ra’s al Ghul sont de purs destructeurs, le Joker est quelque part un libérateur, Gotham étant tombé depuis le premier épisode sous la tutelle d’une sorte d’état policier, avec son cortège de loi pénales soutenues par le très populaire Harvey Dent.

Ensuite, et surtout, l’ambiguïté du Joker révèle celle de Batman. Bien entendu, tout le film est axé sur le côté sombre de Batman et la population de Gotham finit par le traiter comme un criminel. Mais la population de Gotham est stupide : comment personne dans cette ville (Joker compris) n’a pu faire le lien entre Batman et Bruce Wayne alors qu’ils font constamment la une des journaux en même temps et pour des raisons opposées (spoiler : il vont tout de même jusqu’à mourir en même temps dans le dernier épisode !). Ce qui est plus inquiétant, c’est le spectateur lui-même, pourtant autrement plus intelligent, en vient aussi à préférer le Joker à Batman, surtout quand celui-ci en vient à espionner toute une ville dans le seul but d’attraper un criminel (le loyal Fox va alors tout de même jusqu’à présenter sa démission). Batman, tout de noir vêtu, avec sa voix de robot et son sens aigu de la justice apparaît de plus en plus comme un fasciste (surtout dans l’Amérique de Bush qui a voté le PATRIOT Act) ; le Joker, en comparaison, semble étonnamment humain.


You wanna know how I got these scars ?

S’il y a bien une caractéristique qui différencie le Joker, non seulement de Batman, mais aussi des autres supervillains de la trilogie, c’est qu’il est humain.

Le Joker n’a pas d’équipement en kevlar et de Batmobile, il ne porte pas de masque à oxygène bizarre, il ne fait pas partie d’une secte de ninjas millénaire, la moitié de son visage n’a pas été carbonisée, il n’a ni superpouvoir, ni force surhumaine... tout juste un peu de maquillage qui coule quand il sue. En somme, le Joker nous apparaît plus proche que n’importe quel autre protagoniste de la série.

Comparons les scènes de présentation de TDK et TDKR. La seconde, où l’on nous présente Bane, est digne des meilleurs (ou des pires) James Bond. Avion qui explose en plein air, remorquage à 6 000 mètres d’altitude... on se demande si, vraiment, il n’existait pas un plan plus simple pour mettre la main sur un scientifique capturé par l’ennemi. Dans TDK, au contraire, le Joker nous est présenté au cours d’un simple braquage, particulièrement virtuose, et au cours duquel ressortent à la fois son génie criminel et sa totale absence de morale. Dès le début, on sait que ce sera un type bien !

tumblr_li9rglKqjP1qarle0.jpgOn n’en sait peu sur ce qu’a été sa vie avant de débarquer à Gotham. Cependant, on remarque immédiatement les deux cicatrices, au bord de ses lèvres, qui le font sourire en permanence. A cette souffrance physique, se mêle une souffrance morale quand il évoque l’origine de ces cicatrices. Il en donne deux versions (et est peut-être sur le point d’en donner une troisième à Batman). On ne sait laquelle est vraie ; et peut-être sont-elles fausses toutes les deux. N’empêche que l’histoire du gosse battu par son père alcoolique ou de l’homme abandonné par la femme qu’il aimait, ça nous est un peu plus familier que celle du type qui grandit dans une prison-puits dont il s’échappe parce qu’il est l’élu...

Finalement, dans tous les héros et anti-héros de la trilogie, le Joker, c’est celui qui est le plus comme nous — flippant ?


Why so serious ?

why-so-serious-nihilisme-cinema-L-3.jpegLast but not least, le Joker est fun. Et ça fait du bien dans une trilogie qui se prend quand même un peu au sérieux pour un blockbuster du mois de juillet.



jeudi 2 août 2012

Songes de Mevlido


Songes de Mevlido
de Antoine Volodine
Bienvenue à Poulailler Quatre
On erre dans un monde qui ressemble au nôtre, il est juste un peu plus vieux, et un peu plus pire. Quand on marche dans Poulailler Quatre, on s’aperçoit que les cages à poules sont retournées à leur usage primaire, on s’aperçoit que l’on n’est plus chez nous et que les gallinacés ont envahi nos anciennes cités, on évolue donc entre leurs excréments et elles, les poules mutantes, qui nous lacèrent de leurs ailes et nous bectent les mollets. Quand on marche dans Poulailler Quatre, on peut tomber sur Mevlido, qui revient de la Zone, qui sort du tramway pour rentrer chez lui, où il vit, depuis que la femme qu’il aimait a été torturée et tuée par des enfants soldats, avec une folle qui le prend pour l’homme qu’elle avait aimé et qu’elle aussi a perdu.

La lutte des classes 2.0
Mevlido, dans ce monde, est un flic chargé d’infiltrer les cercles bolcheviks animés par de vieilles mendiantes hurlant des slogans dénués de sens dans les ruelles puantes de Poulailler Quatre. Mevlido, dans ce monde, est un sympathisant bolchevik chargé d’infiltrer la police qui protège les nantis qui ont gagné la guerre, qui ont torturé sa femme et qui exploitent le peuple. Mevlido, dans ce monde, n’appartient à rien et n’est chez lui nulle part. Il sait juste qu’il fait partie du camp des perdants de la guerre que des nantis ont gagné pour mieux dominer le peuple qui s’agglutine pour se faire bouffer par les gallinacés dans une misère sordide ; il sait juste que la femme qu’il aime s’est faite torturer et tuer par des enfants soldats à la solde des gagnants. Il sait que pour cela, il hait les enfants soldats et que cela lui suffit pour soutenir discrètement l’action des révolutionnaires, même si cela lui fait prendre des risques pour protéger leur meilleure tueuse, Sonia Wolguelane, qui est craquante et qu’il désire dans ses songes lubriques.

Dans ces songes, on rencontre aussi Gorgha, une belle et mystérieuse corbeau femelle que, bizarrement, on désire presque autant. Gorgha nous transmet les instructions d’un personnage mystérieux, Deeplane, dont on ne sait rien si ce n’est qu’il nous évoque vaguement quelque chose et qu’on sent qu’on doit lui obéir, comme si, avant, il nous avait envoyé là avec une mission précise dont on n’a, depuis qu’on est né, plus aucune idée. Alors on erre dans ce monde, qui ressemble à celui qui ressemble au nôtre, et on y cherche des clés, sans vraiment le comprendre, sans que tout cela n’ait vraiment de sens, tant que l’on se réveille et qu’on est vivant.

Quand on ne le sera plus, on errera dans un monde qui ressemble au nôtre, qui sera juste un peu plus vieux et encore un peu plus pire et où les choses et les gens auront tendance à se confondre, à se mélanger dans un grand Fouillis peuplés des morts et des vivants qui les hantent ou les apaisent grâce aux rituels chamaniques menés par des mudangs, des sorcières coréennes.

Un attentat contre la lune
Dans ces trois mondes qui s’entrecroisent et s’entremêlent, Mevlido émerge comme une dernière réminiscence de l’humanité quand, à ses côtés, ne restent plus que des simples d’esprit, des vautours, des héroïnes à plumes noires, des sorcières et des enfants soldats pour l’éternité. C’est un monde animé par une passivité violente ou post-violente, un monde du chaos qui succède à la bataille finale de la lutte des classes à laquelle des vieilles s’obstinent en vain à ne pas renoncer. C’est surtout un monde qui précède de justesse la fin de tout, la Fin, tout simplement. Dès lors, ce ne peut être qu’un monde incroyablement vain, comme les slogans des vieilles, comme les meurtres insensés exécutés par Sonia, comme la haine farouche de Mevlido. Peut-être y a-t-il un sens dans tout cela – il y a suffisamment de mystère pour qu’il y en ait un –, mais on est condamné, dès la naissance, à l’ignorer, et dans la mort, les mêmes démons nous assaillent sans apporter de réponse, comme si, finalement, la vie continuait pour nous comme pour les autres, seulement dans une voie parallèle et seulement un peu plus sombre.

Songes de Mevlido – songes comme ces rares moments où l’on dépasse la simple réalité pour appréhender quelque chose de plus grand, entrevoir des réponses qu’un éternel réveil nous empêche de comprendre – Songes de Mevlido, donc, est un univers immense où l’on se perd avec bonheur, d’une originalité débordante de pessimisme où l’on rencontrera des figures comme nulle part ailleurs. C’est un univers de la catastrophe – celle passée et celle à venir – et c’est surtout un univers dont, après toutes ces errances, on se sent incapable de rendre convenablement la grandeur. L’œuvre de Volodine est un miroir déformant qui nous renvoie à la face l’image de notre monde, de nos échecs passés et futurs, le témoin de nos impuissances, de nos désillusions et, surtout, de nos aspirations les plus inconscientes, les plus vaines ; celles-là mêmes qu’il nous faut donc à tout prix réaliser avant qu’il ne soit trop tard. C’est une claque dont les conséquences restent encore à écrire.

jeudi 26 juillet 2012

Présentation




lorgnette, /lɔʁ.ɲɛt/, n.f. : Petites jumelles à faible grossissement utilisées principalement dans les spectacles.
Pourquoi une lorgnette ?






Encore un nouveau blog culturel ?

Un peu, oui. Cependant, au-delà de la simple page perso, il y a tout de même une petite idée : avec La Lorgnette, il s’agira de prendre le monde par le petit bout. 
Le petit bout, ici, ce sera principalement l’art qui, comme un miroir déformant, nous renvoie à ce que l’on est et à la société dans laquelle on évolue. Il s’agira de faire partager des coups de coeur, évidemment, mais en-dehors de toute espèce de calendrier : ce n’est pas un blog d’actualité cinématographique ou littéraire, il ne s’agit pas d’être le premier à surfer sur la vague du groupe de demain ; non, il s’agit plutôt de rendre compte d’un tout, de la somme de ce qui existe et de la façon dont elle existe par rapport à nous.
Du futur, faisons table rase
La démarche de ce blog est donc de s’inscrire résolument dans le présent. Il s’agira d’écrire une sorte de dialogue entre le monde tel qu’il est et ce à quoi il nous renvoie, le plus souvent à travers le prisme d’une oeuvre : la lorgnette à travers laquelle on observe et comprend notre monde.
Passant constamment de la réalité à la fiction, on pourra alternativement prendre une oeuvre et chercher en quoi elle s’inscrit dans notre réalité, ou à l’inverse partir d’un élément d’actualité (politique, sportive, économique...) pour le mettre en perspective avec une oeuvre qu’il nous évoque.
L’art sauvera le monde
Et pourquoi cette démarche ? Pourquoi regarder la réalité à travers les filtres de la fiction ou au contraire tenter de rattacher l’imaginaire à des choses connues ? Tout d’abord, parce que c’est une histoire d’amour, une passion d’adolescent et d’éternel étudiant qui ne peut s’empêcher de refaire le monde et de parler bouquin.
Ensuite parce que les deux dialoguent depuis toujours. L’art a toujours été le reflet des sociétés et on peut souhaiter parfois que celles-ci s’en inspirent pour qu’un jour, vraiment, l’art sauve le monde.