jeudi 18 décembre 2014

Bourgeois & soldats

Novembre 1918, Une révolution allemande
Livre I. Bourgeois & soldats
d’Alfred Döblin

L’autre oeuvre de Döblin

Döblin, en France, est l’auteur d’un seul livre, Berlin Alexanderplatz, lequel, d’ailleurs, ne m’avait fait qu’une impression mitigée. Il aura fallu que je visite Berlin un 11 Novembre pour avoir de nouveau envie de me confronter à la prose de l’Allemand. Un choix à moitié judicieux puisque ce premier livre de la tétralogie qu’il consacre à la révolution de Novembre 1918 — révolution avortée puisque allemande, comme le sous-entend l’ironique sous-titre Une révolution allemande si on l’oppose à la Révolution française ou la Révolution russe, par exemple — se déroulera principalement en Alsace tandis que les troupes allemandes s’apprêtent à en partir.

Döblin a rédigé ce texte en France, où il demeurait en exil, à partir de 1937. Le premier livre, qui nous intéresse ici, Bourgeois & soldats fut publié dès 1939 à Amsterdam mais ne fut plus réédité avant 1978 pour les lecteurs allemands ; il fallut attendre 2008 et une initiative des éditions Agone pour que cette oeuvre soit enfin traduite en français.

La République Socialiste Alsacienne

Immense fresque historique qui embrasse quelques mois en 2000 pages, Novembre 1918 débute le 10 novembre 1918 dans une Alsace encore allemande où les troupes attendent l’armistice. On est en plein roman social et historique : Döblin pioche çà et là ses personnages (deux officiers blessés, une nurse, un marin insurgé, quelques soldats du rang et des civils tant français qu’allemands) et nous raconte ce pan de l’histoire méconnu, ces quelques semaines où se jouent la fin d’un conflit mondial, le passage d’une région d’un Etat à un autre, où chute un empire et naît une république. Dans une première partie remarquable, Döblin, qui sait vous poser une ambiance, évoque avec bonheur les conseils de soldats d’une armée qui a implosé, détrôné ses gradés et envisage pour une semaine d’instaurer en Alsace une république indépendante, ni française, ni allemande ; uniquement socialiste. Il conte les brassards rouges qui défilent dans les rues euphoriques, le retour des marins mutins dont les voix retentissent dans les conseils municipaux et il raconte le drapeau rouge qu’on hisse tout là-haut sur la flèche de la cathédrale de Strasbourg.

Mais ce n’est qu’un prélude. On sait inéluctable l’arrivée des Français et les convois d’Allemands s’en retournent à Berlin où se jouera dans les prochains tomes la vraie révolution ; les gueules cassées retrouvent leurs familles déchirées, les amours se défont et les illusions ont perdu une première bataille ; la seconde partie est plus grave. Moins entraînante aussi lorsque Döblin se fait plus historien que romancier et consacre des chapitres entiers à Foch ou à Barrès, quand il décrit in extenso l’organisation alsacienne et énumère chaque division de l’appareil administratif allemand. A la fin se dessinent les luttes entre les différents partis qui devront se livrer bataille durant les quelques temps où l’Allemagne oscillera entre la révolution socialiste et la république de Weimar.

Une affaire à suivre

A la lecture de Bourgeois & soldats, on sent qu’on ne lit jamais qu’un premier acte : Döblin campe ses principaux personnages et établit déjà des relations dont on imagine qu’elles seront développées au cours des prochains livres. Il en profite pour nous livrer aussi quelques pages magnifiques. On les pioche dans ces longues scènes où pendant plusieurs pages, l’auteur nous décrit l’atmosphère des villes et nous la rend à la manière d’un peintre ou bien d’un cinéaste ; et dans certains dialogues, aussi, tels que celui où le lieutenant Becker raconte à son ami Maus comment la guerre l’a changé.

Il faudra lire la suite. Car Döblin montre avec ce livre qu’il n’est pas l’homme d’une unique oeuvre. A vrai dire, j’ai trouvé celle-ci supérieure, dans une large mesure, à Berlin Alexanderplatz. Son écriture y est plus belle, ses personnages plus singuliers que l’effroyable Franz Biberkopf. Mais on sent bien le même auteur, qui se disait appartenir à la nation des pauvres, soucieux de la cause ouvrière : ses mots pétillent quand il parle de révolution !



mardi 9 décembre 2014

La généalogie

“De retour à la maison, et encore sous le coup de l’émotion, j’ai appris par la radio la mort de Céline. Si je l’avais suivi, on aurait dit encore une fois que je l’avais imité… Écrivez de longues phrases, on dira que vous copiez Proust. Qui devait tout à Saint-Simon. Soyez sombre, soyez désespéré, vous voilà kafkaïen. Lyrique, c’est du Claudel. Amer, du Léautaud. Vous n’y échapperez pas. Si vous continuez pendant quelques années, on finira par se servir de votre nom pour étiqueter les nouveaux venus.”


Roger Rudigoz, A tout prix - Journal 1961-1962, Finitude (2014)

lundi 8 décembre 2014

Goldberg : Variations

Goldberg : Variations
de Gabriel Josipovici

Insomnies

Mes maigres connaissances en musique classique m’autorisent à savoir la légende qui veut que Johann Sebastian Bach ait écrit ses célèbres Variations en 1740 pour que son apprenti, Johann Gottlieb Goldberg, les joue au clavecin à son protecteur, le comte Keyserling, durant ses longues nuits d’insomnie ; elles ne suffisent pas, néanmoins, pour m’indiquer si le dernier livre traduit de Josipovici, Goldberg : Variations, y fait autrement référence que par son point de départ scénaristique. Car si Keyserling devient ici Westfield et si le décor, d’allemand, nous place ici dans la campagne anglaise, Goldberg demeure Goldberg. Mais il est écrivain, cette fois, et bon lecteur, celui qui devra, nuit après nuit, lire au vieil aristocrate les oeuvres qui devront l’endormir. Tâche simple a priori, et lucrative, jusqu’à ce qu’une difficulté s’ajoute quand le commanditaire déclare :

J’ai lu tous les livres qui ont été écrits, Mr Goldberg, et cela me rend mélancolique. Un profond ennui s’empare de moi chaque fois que j’ouvre une fois de plus un de ces volumes ou même quand une autre voix m’en livre le contenu.

Il s’agira donc pour Goldberg de composer chaque jour une nouvelle oeuvre qu’il soumettra, chaque nuit, à cette épreuve terriblement perverse où l’endormissement de l’exigent public rend compte de la réussite de l’auteur. Car « une histoire qui est vraiment nouvelle et vraiment une histoire, donnera l’impression à la personne qui la lit ou l’écoute que le monde a repris vie pour lui. Voici comment je pourrais le dire : le monde recommencera à respirer pour elle alors qu’auparavant il avait paru être fait de glace ou de roche. Et ce n’est que dans les bras de ce qui respire que nous pouvons nous endormir, car ce n’est qu’alors que nous pouvons être certains que nous nous réveillerons vivants. » La tâche semble insurmontable.

L’oeuvre totale

Mais dès lors, ce roman tranquillement sis dans l’Angleterre des soeurs Brontë, où l’on dort dans d’immenses manoirs et où les dialogues sont prétextes aux digressions philosophiques, devient, comme cet alcool qu’on fait passer en douce sous des étiquettes de soda, une réflexion sur la création littéraire et ce premier chapitre, par un effet de mise en abîme, la première des trente variations dont l’écrivain Goldberg accompagnera le sommeil du vieux Westfield. En suivront vingt-neuf autres, qui avec la première, formeront plusieurs oeuvres. 

Car dans Goldberg : Variations, comme dans les Variations Goldberg, l’auteur joue en effet avec les différentes formes de son art. On y croisera, pêle-mêle, un roman à facettes où l’auteur tissera les différents liens entre Westfield et ses proches en consacrant à chacun d’eux un de ces courts chapitres dont est constitué le livre (laissant le soin au lecteur de relier tous ces points et de combler les vides), mais aussi des réflexions d’un extrême intérêt sur Homère et son oeuvre, sur Victor l’enfant sauvage, et puis, dans une seconde partie, on trouvera un auteur contemporain, une rupture amoureuse, une étude de tableau et par-dessus tout ça, peut-être au coeur de tout, un (ou deux ?) roman épistolaire. L’écho entre les deux auteurs, entre les deux époques, au sein de cette somme fictionnelle qu’est Goldberg : Variations, il se fait moins, peut-être, dans ce qui nous apparaît comme le roman du roman de la seconde partie — où l’on serait tenté de prêter à l’écrivain contemporain les traits de Josipovici avec trop de promptitude — que dans ce trio formé, autour de l’artiste, du riche ami des arts et de la femme aimée, parfois doublement, qui prolonge le premier et le façonne parfois. « Mais si vous deviez choisir, insista-t-il, entre passer la nuit devant votre bureau ou dans votre lit, que choisiriez-vous ? », demandera sournoisement Westfield à Goldberg, livrant sans doute là un des thèmes de la jolie musique de Gabriel Josipovici.



jeudi 4 décembre 2014

Fame

Les stars partagent encore ceci avec les étoiles qu’on continue à percevoir leur brillance longtemps après qu’elle a cessé.

vendredi 28 novembre 2014

La Messe de l'athée

La Messe de l’athée
de Honorée de Balzac

Dévouement et dévotion

Les éditions Manucius proposent une jolie petite nouvelle tirée des Scènes de la vie parisienne. Rédigé par Balzac dans la fièvre d’une nuit du début de l’année 1836, ce « jet de génie » (c’est l’éditeur qui le dit dans sa préface) est sans doute moins que le « miracle » annoncé. Ce n’est pas bien grave, mais pourquoi se sent-on toujours obligé de crier au miracle et de faire tout un flan à propos du moindre texte rédigé par un « grand écrivain » ? Est-ce qu’un texte comme celui-ci, étant donné sa genèse, plutôt sa spontanéité, ne pourrait pas se contenter d’être simplement charmant, ou même mineur, sans qu’on y voit scandal ? Certes, il faut vendre…

Revenons pourtant à cette Messe de l’athée, presque construite à la manière d’un roman policier. Le célèbre chirurgien français Desplein est un athée « comme les gens religieux n’admettent pas qu’il puisse y avoir d’athées » (indication qui m’a d’autant plus plu que ma propre mère, croyante, a longtemps refusé mon athéisme, incapable d’imaginer que la chair de sa chair ne puisse absolument pas croire en Dieu, et pas même en un dieu, même pas un tout petit peu) : « Desplein n’était pas dans le doute, il affirmait. » Or, voilà que le disciple, le « Séide », même, de cet imminent athée le voit entrer à Saint-Sulpice et s’agenouillant devant la vierge, la prier avec dévotion.

Epais mystère ! et dont la solution, cousue de fil blanc, ne surprendra que dans la mesure où elle est tout ce qu’il y a de moins surprenant : le bon docteur Desplein doit sa réussite à un homme, fervent catholique (et Auvergnat qui plus est !), dont il honore la mémoire en fondant quatre messes annuelles. 2 + x = 4, trouvez x

C’est bel et bien le « portrait exemplaire de la bonté, de la gratitude et de la fidélité » annoncé par la quatrième de couverture, mais pour le « miracle » et le « génie » de la préface, c’est peut-être un peu court… Reste pourtant un joli texte, une « Scène » sans autre prétention, sûrement, que d’en être une, une belle histoire et, notamment au début du texte, quelques réflexions intéressantes sur la postérité.

Et une question aussi : si comme le professeur Desplein, vous ne croyez pas en Dieu, et « encore moins à l’homme », rencontrer un homme bon qui vous fera croire en eux vous fera-t-il croire en Dieu ?



vendredi 21 novembre 2014

Le nombril

Pour faire écho à l’article d’hier, la littérature française serait donc « nombriliste ». Bof. Sûrement pas plus qu’une autre. Mais quand bien même elle le serait, serait-ce vraiment un mal ? 

Sans doute pas. D'ailleurs, j'aurais presque tendance à penser (en caricaturant ?) que le bon écrivain (et le bon philosophe !), c'est celui qui se regarde BEAUCOUP le nombril ! Et certainement pas celui qui se "préoccupe des autres", a fortiori si ces "autres" sont ses lecteurs ! 

Non pas qu'il soit nombriliste au sens où l'est celui qui examinant ses bourrelets dans la glace le matin, en vient à oublier les autres et des problèmes bien supérieurs, mais parce que lui-même devient son sujet d'étude et cette porte d'entrée vers l'autre, le spécimen de son espèce qui lui est le plus accessible. S'il s'intéresse à lui, c'est seulement dans la mesure où ce que lui révèle l'examen de son propre nombril peut indiquer sur eux. Son art, à mon avis, réside dans cet aller-retour perpétuel, dans cette mise en rapport entre son idiosyncrasie et une espèce d'âme universelle. Et c'est pour ça que Proust, en ne racontant jamais que les souvenirs de sa jeunesse bourgeoise, décrit si justement des sentiments et des comportements qui appartiennent à tous. Tandis que l'écrivain (dont il se moque, je crois, à un moment) qui, au cours d’une soirée, "observe" les comportements des convives ne reste jamais qu'à la surface des choses.



jeudi 20 novembre 2014

La littérature française, c'est quoi ?

Sur l’excellent blog de Claro, on apprenait hier que 50 des 450 livres étrangers traduits en anglais et parus aux Etats-Unis cette année étaient français. Au-delà de ce que cela nous dit du « rayonnement culturel de la France à l’étranger » (selon la grille de lecture qu’on adoptera, on pourra soit se réjouir qu’un livre étranger publié aux Etats-Unis sur neuf soit français {cocorico !} soit déplorer que seul 0,005% des livres publiés en France soit proposés sur le marché américain {déclinistes et zemmouriens, réjouissez-vous !}), c’est la liste des auteurs cités par Claro qui soulève en moi une interrogation : la littérature française, c’est quoi ?

Quel est cet ingrédient que l’on retrouve dans le Chevillard et dans le Foenkinos à la manière du trait de citron dont j’arrose tant mon blanc de poulet que mon filet de merlan ? Par quel mauvais miracle voit-on un Pierre Michon côtoyer de si près un Grégoire Delacourt ? Quand je bois du bourgogne, je sais que je trouverai dedans du pinot noir, mais on me sert quoi, exactement, avec cette AOC « littérature française » ? C’est quoi ce terroir sur lequel le Marc Levy pousse aussi bien que le Kerangal, qu’est-ce qui permet de rassembler Zeller et — je ne sais pas, moi ? — Gracq sous une unique appellation ?

Notez que ce n’est pas propre à notre petit pays. Il y a quelques semaines à peine, comme je lui avouais un penchant pour la littérature allemande, ma chère et tendre de me demander avec une naïveté déconcertante :

- C’est comment la littérature allemande par rapport à la française ?
- Bah…

Bah… ouais, je ne sais pas. Et je loue donc sa pertinence !

Je sais seulement que je ne suis pas très convaincu par ces appellations, je ne sais pas ce qu’elles recoupent. Et que je ne suis pas très convaincu non plus par ceux qui affirment que la littérature française serait nombriliste, ou la littérature américaine facile, l’allemande intellectuelle, que la littérature russe a une âme. Moi-même, au demeurant, je suis tombé dans le piège de ces clichés, de cette vision nationaliste de la littérature. J’ai ainsi longtemps cru que j’aimais la littérature russe. Et puis, j’ai découvert qu’en fait, j’aimais surtout Dostoïevski. A l’inverse, j’étais bien persuadé de détester tous les anglo-saxons, mais il y avait Shakespeare, Joyce et maintenant Kesey, Josipovici. Avant de lire Murakami, j’étais même persuadé d’adorer la littérature japonaise, mais je crois bien que j’aimais seulement Kawabata, Inoue et Mishima. Et encore, pour chacun, seulement certaines de leurs oeuvres.


Du coup, j’en viens à souhaiter qu’à la place d’E.E. Schmitt et Bobin, on envoie aux Etats-Unis quelques titres supplémentaires de Schmidt ou de Macedonio Fernandez. Et advienne que pourra du rayonnement français ! Une Internationale du livre, voilà un beau projet !