lundi 16 décembre 2013

Faillir être flingué

Faillir être flingué
de Céline Minard

Une mythologie de l’Ouest

On me l’avait déjà chaudement recommandée du temps de son Bastard Battle, mais j’avais hésité à m’y lancer ; puis, j’ai vu passé son So long, Luise avec un peu d’indifférence ; entre les deux, Olimpia m’avait échappé ; c’est donc peu dire que j’ai pris du temps avant de jump on the bandwagon, mais peut-être ai-je finalement été bien inspiré, parce que ce convoi que j’ai pris m’a fait m’asseoir aux côtés de la vieille qui geignait et dormait sur sa soupe de blé, et dès cette première page, j’ai su que, où qu’il me conduise, ce convoi, je le suivrais. Personnage bien campé et immédiatement truculent, la vieille est la première estampe d’une série de portraits empruntés à la mythologie du Far West dont ils sortent tout droit. Toutefois, si Faillir être flingué pioche évidemment dans les codes du genre - les clins d’oeil sont multiples -, le livre de Céline Minard ne se contente pas d’être un livre de genre, un pulp que l’on feuillète distraitement pour prendre à bon compte un peu de dépaysement.

Plutôt, cette épopée de l’Ouest relève du mythe. Zeb, Elie, Bird, Gifford, Eau-qui-court-sur-la-plaine ressemblent à des dieux secondaires, des héros au sens ancien du terme. Certains d’entre eux ont un passé auquel ils tournent le dos comme le vieux Priam fuyant sa Troie ; les autres sont nés de la Terre elle-même, la Pacha Mama des Indiens, comme pour fonder le monde qu’ils bâtiront. A ce titre et comme un écho, on sent qu’un effort tout particulier a été consenti en ce qui concerne la construction du roman. Elle est somptueuse. Si l’on se perd un peu entre les personnages durant les premières pages, on s’amusera beaucoup à suivre le jeu de piste qui fait passer l’un sur les traces de l’autre, on pressentira les drames et les interactions, et si Minard, avec raison, ne cherche pas sans cesse à nous surprendre, elle sait nous attraper pour ne plus nous lâcher.

La naissance d’un monde


Son style y contribue sans doute. Après qu’on m’avait longtemps parlé de la gouaille colorée d’un Bastard Battle, je m’attendais à de l’esbroufe ; il n’y en a pas. Pas plus que de figure de style ou d’images saisissantes. Les phrases sont courtes et le vocabulaire simple, mais loin de constituer une faille, de témoigner d’une pauvreté, cela rehausse encore la qualité de l’oeuvre en permettant à la forme de se mettre au service du fond. Minard ressemble ainsi à ces musiciens sûrs de leur talent : sa partition est limpide. On serait parfois presque tenté de se dire qu’écrire comme elle est facile ; aussi facile que de courir comme ces athlètes à la foulée pure que l’on voit sur les pistes : chez eux non plus, il n’y a pas d’esbroufe.

Au demeurant, cela n’empêche pas certains passages d’être de toute beauté. Ainsi d’Elie chevauchant au milieu de son troupeau de mustangs durant quelques pages splendides. Il goûte à cette liberté des grands espaces, cette ivresse du pionnier, l’étourdissement qui nous assaille devant un monde qui nous offre sa virginité. Une sensualité terrienne s’empare du lecteur et du personnage. Mais comme ce roman raconte le mythe de la création du monde, le bon sauvage éprit de nature et de liberté devra se rendre à la civilisation, se sédentariser, apprendre à vivre en compagnie de ceux qu’il redoutait plus tôt et c’est cette démarche civilisatrice que nous relate Minard dans une seconde partie de son roman où les nouveaux dieux se réunissent sur leur Olympe improvisé pour défier les Titans de l’ancien monde.

Il y a donc beaucoup plus qu’un western dans ce superbe roman et la moindre de ses qualités n’est pas cet intense plaisir de lecture qu’il procure à celui qui voudra bien s’y plonger. D’abord en dévorant les pages dans une première partie qu’on parcourt au galop, puis en prenant le temps de flâner dans la ville vers laquelle tous les destins convergent lorsque ceux-ci s’épaississent tandis que défilent les chapitres. En s’attachant aux personnages et en prenant part à leur vie comme un témoin privilégié. Et peut-être un peu plus.

Payot & Rivages, 2013, 336 pp.

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