dimanche 7 juillet 2013

La Grande Tristezza


La Grande Bellezza
de Paolo Sorrentino

Le grand bluff

Il y a des films qu’on aime et d’autres qui ne nous touchent pas. La Grande Bellezza, de l’Italien Paolo Sorrentino, appartient à une troisième catégorie : celle des films qui nous énervent.

Dans la synopsis officielle, on commence par nous évoquer les splendeurs de Rome et le triste sort d’un touriste Japonais « foudroyé par tant de beauté ». A l’écran, à le voir s’éponger le front sous le soleil brûlant, on a plutôt l’impression d’une bête insolation. Mais qu’importe : on n’entendra plus parler de lui. Toutefois, ce petit coup de bluff est révélateur d’un film qui, sans cesse, veut passer pour autre chose que ce qu’il est. 

Cela commence avec son personnage principal : Jep Gambardella. Partout, on le présente comme un écrivain à la recherche d’inspiration : il n’en est rien. De son propre aveux, Jep Gambardella est un mondain. A plein temps. Débarqué à Rome, il n’aspirait qu’à assister aux plus belles fêtes et même à pouvoir les gâcher. Rien de plus. Il n’a écrit qu’un livre, il y a quarante ans, et il vit depuis de la gloire que cet unique ouvrage lui aura rapportée. Si certains de ses proches le poussent parfois à reprendre la plume, lui semble très bien se satisfaire de sa vie vide et de son « petit train(-train) qui ne va nulle part ».

Fausse critique et vrais clichés

Alors, puisque tout le monde, dans ce film, est très heureux d’être un mondain, le spectateur est entraîné durant deux heures trente interminables dans d’horripilantes fêtes privées avec vue sur le Colisée dans lesquelles toute une clique de vieux beaux s’échangent à qui mieux mieux des propos vains à n’en plus finir. C’est dramatiquement chiant. 

Il semble qu’on veuille nous faire passer ce film pour une critique acerbe de l’inanité de la vie mondaine. Ainsi, il faudrait le regarder, d’un bout à l’autre, au second degré pour se moquer de tous ces gens stupides et prétentieux. Le problème avec cette approche, c’est qu’à se faire succéder, durant deux heures et demi, des mondains sapés comme des princes qui disent des choses vaines, on finit par avoir un film au propos vain qui ressemble à un catalogue de mode. On a beau jeu de dire, après coup, que justement, tout cela est une critique : reste que pendant toute la durée du film, le spectateur, lui, s’empêtre dans une mare de propos oiseux à ne plus savoir qu’en faire.

Et quand bien même il faudrait vraiment appréhender comme une critique cette débauche de stupidité poseuse, elle - la critique - serait sacrément mauvaise. Le film est une accumulation de clichés, pire que dans un roman de Musso.

En vrac, on y trouve :
  • un type qui, à 65 ans tout juste fêtés, se rend compte, juste après avoir couché avec une femme, qu’il n’a plus le temps de faire les choses qu’il n’a pas envie de faire, et en profite pour s’éclipser pendant qu'elle a le dos tourné ;
  • une artiste performiste qui se jette contre un mur dans un spectacle ridicule et par la suite, en interview, est démasquée comme un charlatan lorsqu’elle évoque les vibrations qu’elle prétend ressentir dans un discours aussi dénué de sens que son spectacle lui-même ;
  • une mondaine pseudo-marxiste moquée par ses pairs pour parler socialisme, sacrifice, littérature engagée et difficulté d’être mère et femme, alors qu’elle fait la fête tous les soirs, dispose d’une armée de domestiques pour élever ses enfants et entretenir son palais, et ne doit d’avoir été publiée qu’à sa liaison avec un politicien qui assure ses revenus sans qu’elle ait à travailler ;
  • un obsédé malingre qui veut « baiser » toutes les femmes qu’il rencontre et semble bien connu des putes romaines, tout en prétendant qu’il forme avec sa femme le seul couple amoureux et fidèle de Rome ;
  • une pseudo-actrice/femme fatale qui prétend s’être retirée du cinéma faute de se voir proposer des rôles à sa mesure, et qui a décidé en conséquence d’écrire un premier roman qu’elle qualifie elle-même de « très proustien » (et le type qui la drague qui prétend que, justement, Proust est son écrivain préféré... avec Ammaniti - un écrivain populaire italien qui n’a rien de commun avec Proust) ;
  • une vieille strip-teaseuse au grand coeur qui se déshabille pour se soigner ;
  • une gamine qui badigeonne au hasard une toile qui vaudra des millions...

et j’en oublie sûrement, mais la liste est déjà imposante.

Placement de produit

Ce qu’on trouve bel et bien dans ce film, par contre, c’est un catalogue de tourisme pour Rome. Oui, la photo est magnifique, mais seulement si l’on considère qu’une ville, pour être belle, doit être parfaitement vide et morte. Comme dans le tout aussi mauvais Angel-A, de Besson, à Paris, on nous montre pendant deux heures des images de carte postale d’une ville qui, si elle est indéniablement splendide, semble avoir été désertée par tout ce que sa population comporte de gens qui ne payent pas l’ISF. La Rome de Paolo Sorrentino, ce sont donc des places vides avec des fontaines d’eau pure, des palazzi extraordinaires (quitte, pour en montrer plus, à introduire un personnage invraisemblable qui possède toutes les clés des plus beaux palais de Rome au seul titre qu’il est... fiable - oui, on est là en terme d’indigence de scénario), et des statues colossales éclairées dans un clair obscur que n’aurait pas renié Le Caravage. Oui, Rome est une ville magnifique ; mais non, cela ne suffit pas à faire un film !

Ce qu’est véritablement ce film, c’est une vaste opération de placement de produit. Cela commence d’ailleurs très fort quand, dès la deuxième scène, d’interminables minutes de fêtes (qui ont le mérite de nous faire remarquer à quel point on doit avoir l’air ridicule quand on se trémousse en boîte) se voient auréolées, grâce à un cadrage complaisant, par un grand panneau lumineux "Martini" qui semble bénir les fêtards qui chantent les louanges de la liqueur amère. A la fin de la scène, la pub occupera jusqu’aux deux tiers de l’écran...

Et le procédé continue tout au long du film. Vieux beaux et dindes s’affichent ainsi à l’écran dans leurs plus beaux atours, toujours tirés à quatre épingle, et on ne manque pas de citer, au détour d’un dialogue, le nom des meilleurs tailleurs de Rome. Au final, entre les vues de Rome comme sur papier glacé et ce défilé de mondains richissimes en Versace et Armani, on a l’impression de feuilleter pendant 240 minutes un numéro spécial de Vogue Italie consacré à la mode gériatre. 

Connivence et complaisance

La Grande Bellezza est donc un film snob. Tout le monde peut se plonger pendant deux heures et demi dans un univers luxueux et vain avec le prétexte de la critique comme alibi. On n’a que faire que le réalisateur montre bien trop de complaisance vis-à-vis de son personnage principal - pourtant pas moins vain que tous ceux qui l’entourent - pour que l’excuse tienne la route : on s’empresse de la saisir à bras le corps pour justifier qu’on a vu un grand film le weekend dernier. En bonus, on pourra rouler très fort les sonorités du titre en italien - plus classe que Superman - et s’improviser expert de l’oeuvre de Fellini - à laquelle on a très bien saisi l’hommage puisqu’on sait que Fellini aimait Rome et qu’il avait même filmé la fontaine de Trevi. D’ailleurs, on l’a lu dans Telerama.*

Allez, vous pouvez pourtant l’avouer que la vie mondaine vous fait rêver : Sorrentino lui-même ne s’en cache pas vraiment.

*NB : Les plus littéraires souriront avec la même connivence quand seront évoqués les noms de Proust, Céline et Flaubert ; mais aussi de Dostoïevski, qui tombe ici comme un cheveux sur la soupe, mais ça fait toujours bien.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire