lundi 8 juillet 2013

Liquidation


Liquidation
d’Imre Kertész

Le kitsch

Il est remarquable de constater comme l’homme du vingtième siècle s’est évertué à mettre en application les doctrines en vogue à la fin du siècle précédent. On pense évidemment au capitalisme et au libéralisme ; au socialisme et au communisme ; à tous ces systèmes pensés par des hommes qui évoluaient dans un monde pour ainsi dire nouveau après le bouleversement complet opéré par 1789 et le chaos qui a suivi. Cependant, au-delà des théories économiques, le vingtième siècle est peut-être avant tout le siècle du nihilisme, quand un peu plus d’un siècle après la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, deux guerres mondiales, la folie nazie et les purges soviétiques ont ôté toute valeur à la vie humaine, et par là-même, tout sens à celle-ci.

Imre Kertesz, survivant d’Auschwitz et ayant vécu dans le bloc de l’Est, est bien placé pour en parler. B., autour duquel gravitent les personnages et l’intrigue de Liquidation et qui partage cet aspect de la biographie de l’auteur, en est la parfaite incarnation. Plus encore dans le sens où B. n’a pas seulement survécu à Auschwitz mais y est né. Il est ainsi à la fois un pur produit de l’histoire du vingtième siècle, dont la folie est intimement liée à son existence, et un complet contresens historique. Comme il le dit lui-même à Keserü, sa naissance dans un camp de la mort s’est passée mais n’est pas vraie, elle est kitsch, un non-sens qui résume à lui seul toute l’existence de B., et de l’homme de ce siècle qui a achevé de livrer le monde aux assassins, en soustrayant ainsi toute beauté (Florence n’existe pas et la survivance de l’œuvre de Michelangelo et Leonard de Vinci n’est qu’une conséquence de l’incapacité des hommes à comprendre leur grandeur, profondément contraire au sens de l’évolution du monde).

Nihilisme

Pour que le monde retrouve un sens, donc, pour que la vie de B. soit plus qu’un accident vide de tout, il faut résoudre l’énigme Auschwitz. Mais Auschwitz ne s’explique pas. Auschwitz, même pour ceux qui l’ont connu et y ont survécu, même pour ceux qui y sont morts, est incompréhensible. Or, B. est Auschwitz. Et dès lors, B., l’enfant d’Auschwitz, B., comme la première lettre du tatouage qui recouvre sa cuisse, B., l’accident dans la chaîne industrielle, est confronté à la vacuité irrémédiable de son existence.

Pour B., le Mal est le principe de la vie. Ce n’est pourtant pas, semble-t-il, un mal intelligent, un Docteur Mabuse. C’est un Mal biblique, le Mal du néant et du chaos, qui porte la majuscule et se présente comme l’antéchrist, puisque le Bien ne peut se faire, selon B., qu’au prix du sacrifice du bienfaiteur. C’est donc bien une anti-énergie qui anime B., quelque chose de profondément nihiliste et autodestructeur, à l’image de son œuvre qui ne peut trouver son avènement que dans les flammes. A l’image aussi de sa vie qu’il s’est évertué à détruire au prix d’une souffrance immense, avec cruauté, là encore comme on mènerait un rituel sacrificiel, pour enfin tenter de tuer ce Mal qui régit tout et auquel on a laissé libre cours. Ce mal que B. porte profondément en lui et dont il est quelque part l’incarnation.

Dernier bilan avant fermeture

L’action du livre se déroule entre 1990 et 1999. Après que le bloc de l’Est est tombé comme le dernier bastion d’une armée maléfique et alors qu’un nouveau siècle s’annonce. On peut donc penser que c’est avant tout ce terrible vingtième siècle que Kertesz liquide à travers les cent vingt pages très denses de son roman et qu’il ose un regard optimiste vers le futur. On pointe régulièrement l’intelligence de l’auteur : elle est indéniable. J’aimerais quant à moi insister sur la sensibilité de l’œuvre qui a du demander à l’auteur un immense travail d’introspection. C’est cette intelligence de l’émotion que j’ai trouvée en tout point remarquable, notamment dans la seconde moitié du livre où elle affleure le plus. Il y a quelque chose de formidable dans la façon dont Kertesz traite d’un thème si sombre. Comme un cadeau à l’humanité.

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