lundi 15 juillet 2013

Le Singe de Hartlepool


Le Singe de Hartlepool
de W. Lupano et J. Moreau

Monkey hangers

A Hartlepool, petite ville côtière du nord de l’Angleterre, les habitants sont surnommés Monkey hangers (pendeurs de singe) par leurs voisins facétieux et les supporters des clubs de foot rivaux. Ce surnom, qui ne semble pas les déranger outre mesure (les fans de l’équipe locale se regroupent sous la bannière H’Angus the Monkey), ils le tirent pourtant d’une assez sordide histoire que nous content Lupano et Moreau dans cette fable tragi-comique sur le racisme et le nationalisme.

Les faits se déroulent en 1814, alors que la tension entre la France napoléonienne et le Royaume d’Angleterre est à son comble. Au large des côtes anglaises, navigue un chasse-marée français qui porte à son bord un chimpanzé arborant fièrement l’uniforme impérial. La bête, que l’abject capitaine du vaisseau a ramenée en souvenir d’Afrique où il s’adonnait au commerce d’ébène jusqu’à ce que son cours s’effondre, ne sert qu’à distraire l’équipage, mais lorsque le bateau coulera après une tempête, elle sera l’unique survivant à s’échouer sur la plage de Hartlepool.

Fable contre le racisme et le nationalisme va-t-en-guerre

Les braves gens de Hartlepool détestent les Français - qui le leur rendent bien puisque le capitaine du navire, juste avant le naufrage, avait eu le temps d’envoyer sur la planche un mousse dont le seul tort était d’avoir appris la langue de Shakespeare aux côtés de sa nourrice. Ainsi, quand ils trouvent le singe échoué sur la plage, sauvage et peu coopératif, hirsute et braillant des paroles incompréhensibles, les braves gens de Hartlepool qui n’ont, de leur vie, pas plus vu de singes que de Français, sont persuadés d’avoir capturé un dangereux espion, envoyé en reconnaissance pour préparer l’invasion de l’Angleterre. Dès lors, l’opportunité est trop belle : le maire qui veut mettre Hartlepool sur la carte, le vétéran du siège de Québec qui veut prendre sa revanche, et plus généralement, toute une bande de soiffards qui veulent laisser libre cours à un déferlement jouissif de violence, - tous y trouvent leur compte et décident de traduire le chimpanzé en justice, puis de le pendre au mat du navire échoué au terme d’une mascarade de procès.

Voilà pour les faits tirés du folklore britannique et que rapporte Lupano dans cette bande dessinée, sans qu’on sache vraiment ce qui relève de la légende et quoi de la vérité historique (on a toutefois récemment retrouvé trace d’un prétendu singe de Hartlepool empaillé : http://wilfridlupano.blogspot.fr/2012/09/quand-la-realite-telescope-la-fiction.html ). Ce qui compte ici, c’est que dans cette histoire macabre qui révèle toute la petitesse dont est parfois capable l’espèce humaine, l’auteur trouve le prétexte à une très belle BD, admirablement servie par le joli dessin du débutant Moreau, colorisé avec une aquarelle délicieusement surannée qui se fond parfaitement dans l’ambiance humide et pluvieuse de la plage de Hartlepool. Qu’ils soient français ou anglais, le racisme et le nationalisme va-t-en-guerre sont tous les deux vilipendés dans ce bel ouvrage pour petits et grands, qui tape à grands coups sur la bêtise humaine. Les scènes comiques ponctuent ce drame juste comme il faut pour en souligner l’idiotie, et le climat de violence qui touche tout le monde - les enfants jouent à la guerre pendant que les adultes lynchent le singe - est délicatement atténué par la douceur des couleurs à l’eau : on peut donc sans risque placer cette BD entre toutes les mains.

Voilà donc un très beau livre à lire et à faire lire, et qui dresse un portrait au vitriol de cette humanité animée par la bêtise et la haine viscérale de l’autre. Pas forcément optimiste, mais salutaire.

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