lundi 1 juillet 2013

Oblomov


Oblomov
d’Ivan Gontcharov

Faust, Don Juan, Don Quichotte, Tolstoï et Dostoïevski : rien que ça !

Oblomov, le personnage qui prête son nom au grand roman d’Ivan Gontcharov, est comparé, dès le quatrième de couverture, à Don Juan, Faust ou Don Quichotte. Plus bas, on nous indique qu’il s’agit d’un grand classique de la littérature russe, salué par Tolstoï et Dostoïevski, qui le reconnaissaient pour tel. Bref, avec une telle introduction, on se sentirait presque dans l’obligation d’aimer le roman : la dignité du lecteur est en jeu.

Et pourtant, Oblomov est une véritable déception.

Et maintenant, Gogol !

Cela avait très bien commencé : les 150 premières pages sont un délice absolu. Les visiteurs se succèdent chez Oblomov qui n’a pas plus envie de les recevoir que de les suivre à Ekaterinhoff où ils veulent tous le trainer pour assister à on ne sait quelle fête tandis que lui-même, Oblomov, n’est obnubilé que par deux importants soucis : son bailleur qui l’oblige à déménager et son intendant, dans son domaine en province, qui lui annonce de mauvaises récoltes, des travaux et surtout une baisse de ses revenus. Or, ces deux nouvelles sont particulièrement mauvaises puisqu’Oblomov, plongé depuis des années dans une douce léthargie, n’exerce aucune autre activité que de s’allonger dans son fauteuil pour n’en jamais bouger. On ne peut donc rien envisager de pire que de devoir à la fois déménager et se démener pour régler ses affaires et continuer à jouir d’une rente confortable. Toujours est-il que, malgré la passe difficile que traverse le bon Ilia Ilitch, le lecteur, lui, se réjouit de ses malheurs et de la personnalité - mais en est-ce seulement une ? - d’Oblomov qui l’amène à éconduire en discutaillant ses différents visiteurs, à se plaindre paresseusement de ses ennuis, et à se disputer avec son vieux serviteur, Zakhar, aussi paresseux que lui et incapable de comprendre pourquoi on le blâme, lui, du fait que l’appartement est infesté de punaises parce que, vous comprenez, est-ce que c’est lui qui les a inventées, les punaises ? Bref, pendant 150 pages, ça fuse dans tous les sens, c’est truculent, c’est du Gogol des Âmes mortes et du théâtre en même temps, c’est drôle et absurde, et on en redemande d’autant plus que le tout est entrecoupé de quelques descriptions à travers lesquelles l’auteur porte sur Oblomov et son mode de vie un regard plein de bonté et de douce ironie qui nous le rend extrêmement sympathique malgré - et peut-être même à cause de - sa léthargie proprement maladive.

Un roman géopolitique

En effet, Oblomov semble être un de ces personnages hors du temps, non pas parce qu’il en est déconnecté, mais parce qu’il ne souhaite tout simplement pas rentrer dans sa course. Il se contente avec bonhommie d’un succédané de bonheur, d’une paresse tranquille, en se laissant bercer par le destin que les autres décident pour lui, comme si quelque sagesse lui avait fait comprendre qu’il était inutile de se battre de toutes ses faibles forces contre le cours des choses. Il est loin des petits complots fomentés par le malveillant Tarantiev et de l’affairisme tout germanique de son néanmoins très fidèle et bienveillant ami, Stolz. En plus de cela, Oblomov dévoile de grandes qualités humaines et même une certaine perspicacité quand il jette un regard plein de lucidité sur ce monde auquel il ne participe pas.

En somme, Oblomov possède bel et bien toutes les qualités pour être un grand roman ; mais cela ne dure malheureusement que 150 pages. Ensuite, vient d’abord un long, très long songe qui nous plonge dans l’enfance d’Oblomov, à la recherche des racines de son mal. On y rencontre un Ilia Ilitch couvé par une armée de serviteurs anticipant le moindre de ses faits et gestes et le privant de toute autonomie. Le roman ressemble alors à une critique du mode de vie oisif de l’aristocratie russe qui vit depuis des temps immémoriaux des rentes de ses domaines sans être capable de jamais évoluer ou même de faire quoi que ce soit par elle-même. Le roman devient même un traité de géopolitique quand on compare Oblomov et ses pairs à l’industrieux Stolz, l’Allemand qui se démène, toujours affairé à Petersbourg, à Paris ou à Berlin pour bâtir une fortune, plein de besogneuse énergie et de l’envie d’en découdre. A une époque où la Russie est encore féodale, Gontcharov semble l’exhorter à regarder vers l’Ouest.

Les existences inachevées

Pourquoi pas ? Même si l’opposition est un peu trop tranchée et que faire de Stolz - le meilleur ami d’Oblomov et un personnage sympathique par bien des aspects - une sorte de businessman obsédé par ses affaires, ses contacts dans le monde et sa réussite économique finit par le rendre assez désagréable, trop parfait peut-être, ou trop éloigné des valeurs d’Oblomov pour que le lecteur le considère comme un exemple à suivre. Mais le principal problème du roman ne vient pas de Stolz. Il s’agit plutôt d’Olga. Présentée à Oblomov par Stolz, sa romance avec Ilia Ilitch occupera deux bons tiers du roman et on n’en sort pas. Personnage assez creux, elle est surtout la source d’un prodigieux enlisement de ce pauvre Oblomov qui s’empêtre dans son sentiment amoureux comme un Louis de Funès tombé dans une cuve de chewing-gum. Sauf que là, le gag dure bien trop longtemps. Des pages et des pages d’atermoiements, de « qu’est-ce que c’est bon d’être amoureux, mais alors, ce n’est pas du tout tranquille, je ne suis absolument pas prêt à cela ». Et voilà que ce qu’on redoutait en se plongeant dans le roman d’une existence vouée à la passivité arrive : on s’ennuie. Au moment où on ne s’y attendait plus, après ce début de roman extraordinaire où Gontcharov nous démontrait que la paresse pouvait être un sujet diablement excitant, voilà que le couperet tombe. Un ennui aussi profond que le fauteuil d’Oblomov et duquel on s’emmitoufle comme il fait de sa vieille robe de chambre. Et alors, on comprend à quel point la lecture peut être barbante et, comme lui, on songe à poser le livre tranche vers le haut, jusqu’à ce qu’une couche de poussière l’enterre.

Les pages se tournent finalement et on se dépatouille enfin d’Olga comme on sort d’une relation destructrice, mais le mal est fait : on veut en finir. Alors, tout ce qui viendra par la suite nous semblera artificiel, à commencer par les combines de Tarantiev et du frère de la logeuse d’Oblomov pour exploiter ce dernier, ainsi que les nombreuses interventions de Stolz en Deus ex machina pour maintenir inutilement à flot la barque de l’existence sans objet d’Oblomov. Même l'astucieuse mise en abime des dernières pages n'y changera rien : le plat est définitivement gâté.

On éprouve donc un immense regret quand on referme ce livre : c’est l’impression non pas d’être passé à côté d’un grand roman, mais plutôt que ce livre aurait véritablement pu en être un. Pour refaire le parallèle avec Les âmes mortes, c’est un peu comme si Gogol, après sa première partie truculente, avait tout gâché avec la seconde partie rédemptrice qu’il projetait d’écrire. Malheureusement, Gontcharov, contrairement à lui, a bel et bien terminé son oeuvre. Le lecteur, quant à lui, serait presque tenté de le regretter.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire